Londres....rue commerçante. De part et d'autre de la rue : des boutiques, certaines de luxe, d'autre un peu moins. Pourtant la majeure partie de la population qui fréquentait les lieux était de classe aisée. Il suffisait de voir les vêtements, les canes des parapluies et les riches fragrances qu'ils laissaient derrière eux. Dans ce décor, une silhouette, discrète, semblable à un enfant, se faufilait rapidement. On sentait qu'il n'était pas à sa place, un peu perdu. Mais pour s’en rendre compte il fallait prêter attention au monde qui l’entoure…
Trevor arpenta la ruelle, rajustant le col de son long blouson noir. Le crachin de Londres n'était pas désagréable mais il avait toujours peur de sentir le chien mouillé après une petite pluie. Et puisqu'il était censé faire les commissions pour son maître, il était hors de question d'attirer les regards et les commérages plus que nécessaire. Discrétion était son mot de code. Plus encore depuis qu'il savait ce qu'il savait. Sa dernière tentative pour se faire une connaissance avait lamentablement échouée et lui avait attiré bien plus de problèmes que de solutions. Aussi avait-il décidé de continuer son chemin au milieu des bêtes du troupeau, ne rendant de compte qu’à son maître.
Les dernières semaines furent assez éprouvantes, Trevor sursautant au moindre pas, à la première ombre du soir. Il avait toujours peur que la police ne débarque afin de le contrôler, de l’interroger voir de l’arrêter. Après tout, ne rien dire était aussi grave que de faire les choses. Et il savait que si on l’interrogeait il ne saurait pas mentir. C’était tout bonnement impossible pour lui. Il perdit deux moutons faute de concentration et dû se justifier à son employeur sous peine de perdre son emploi. Après une sévère, mais juste, remontrance, il se concentra et si la peur était toujours présente, il affichait désormais le même air qu'on lui connaissait. Un visage renfrogné qui ne parlait que lorsqu'on lui adressait la parole et qui répondait par monosyllabe sur un corps enfantin. Bien entendu dès que vous demandiez quelque chose il ne pouvait s’empêcher de l’accomplir, c’était pour cette raison que son employeur l’avait gardé, mais le peu de vie sociale qu’il s’était autorisé à entretenir jusqu'à présent était mort.
Un rustre, un sauvageon disaient les habitants du village lorsqu’ils le voyaient passer.
Ici, dans la grande ville, on ne le connaissait pas. Il avait décidé de masquer sa chevelure blanche sous un chapeau miteux, du même bleu nuit que son manteau. Son pantalon marron était probablement le dernier qui lui restait sans trou et il sentait le trou de sa chaussette gauche s’agrandir à chaque pas. Mais peu lui importait. Il n’avait pas froid, et les vêtements n’étaient pour lui qu’une gêne. Les mains dans les poches il se dépêcha afin de terminer au plus vite la liste de commission de son maître. Il ne devait rentrer au village que dans trois jours. Mais il détestait la ville. Bien trop d'odeur, de bruits et de choses qui le mettaient mal à l'aise. Comme par exemple ces personnes qui lui disaient bonjour et qui le dévisageaient parce qu’il ne répondait pas.
Après avoir été cherché des épices spéciales dans le deuxième magasin il se dirigea vers le tanneur, non sans un frisson. Il avait repoussé cette tâche le plus possible, mais maintenant qu’il avait le parfum, les épices, il savait que les autres boutiques étaient plus loin. Et s’il voulait rentrer tôt il fallait qu’il fasse le tanneur maintenant. Malgré la sueur froide qui dégoulinait le long de son dos.

Il observa le cuir au travers de la vitrine, hésitant à entrer. Il lui semblait déjà entendre les hurlements de douleur des animaux mort à l’intérieur. Et puis cette odeur. On dit que la mort n’a pas d’odeur, lui pensait que si. C’était celle de la peau en train d’être travaillée. Mais il fallait qu'il achète une nouvelle ceinture pour le maître. La dernière ayant été brisée par sa faute. Même si cet endroit lui collait une frousse pas possible et que son instinct tout entier lui hurlait de s'enfuir. L’ordre du maître lui imposait d'obéir. Et il resta là, observant sans vraiment voir, les bourses en cuir et les ceinturons, se mordant les lèvres nerveusement.

Le poids sur les épaules de Trevor sembla s'alléger sitôt la petite bourse récupérée habilement en vol. Il la glissa aussi rapidement dans sa poche de pantalon. Pensant après coup que sa précipitation pourrait être mal interprétée par les individus...et s'ils pensaient que Trevor n'avait pas confiance en eux. Qu'il leur manquait de respect?

Il se mordit les lèvres, une fraction de seconde, observant les alentours. Les badauds avaient repris leur chemin, l'histoire n'était pas aussi croustillante qu'ils l'auraient souhaité. Même pas de quoi raconter entre le dessert et le café du repas ce soir. Cela rassura définitivement le jeune homme. Ses épaules se détendirent et il osa même un petit sourire timide.

Il ne broncha pas face au contact physique, il avait l'habitude de ce genre de comportement, même s'il avait souvent du mal à les traduire. Par exemple dans ce cas précis, était ce un encouragement? du réconfort? ou une manière d'imposer sa domination? difficile à évaluer...

Son regard se posa une nouvelle fois sur la devanture, avant de fixer le marchand avec espoir? Se pourrait-il que ce soit vrai? Qu'il n'ait pas besoin d'entrer dans cet enfer et qu'il puisse quand même satisfaire son maître? ce serait inespéré!

- Ce serait merveilleux, je dois apporter une ceinture en cuir marron pour mon maître, la dernière à cédé...

Sur son dos. Bon..il s'était arrêté à temps. Il était inutile que l'on sache qu'il était un incapable et qu'il était donc lui même responsable de son malheur. S'il satisfaisait mieux son maître alors la ceinture n'aurait pas été brisée et il n'aurait pas besoin de se retrouver dans cet endroit si bruyant et dérangeant.